La chute du Roi-Soleil

Kurt Streit voulait faire de Valiant la troisième grande banque du pays. Ce fut un échec complet. Il n’a même pas réussi à sauver les meubles. La Banque Suisse, 30 janvier 2013

Kurt Streit avait un plan: créer une puissante association de banques régionales en mesure de disputer la prééminence de Zurich dans la branche. De ce projet, il n’est pas resté grand-chose. Ces dernières semaines, il proposait avec insistance sa banque Valiant à la Banque Cantonale Bernoise (BCBE). Or, aucun établissement coté en Bourse ne se jette volontairement dans les bras de la concurrence. Dans son expansion, l’ambitieux groupe bancaire en a trop fait. Sa couverture en capital est devenue bien mince. Kurt Streit est un renard rusé. Ces dernières années, il a habilement utilisé son pouvoir pour faire gagner sans cesse de l’influence à Valiant. Le logiciel bancaire Ibis a constitué l’instrument central destiné à édifier un bastion de banques dans le Mittelland, avec des succursales de Lausanne à Zoug. Il incarnait le rôle clé dans les projets de Kurt Streit. Un rôle qui, à en croire les initiés, a toujours culminé dans une alliance avec la BCBE.

Dans les années 1990, il a imposé Ibis comme plateforme informatique du holding des banques régionales RBA, contre la volonté des patrons des autres banques. Pour Kurt Streit, Ibis était l’instrument idoine. Non pas parce qu’il y voyait un logiciel d’avenir mais parce qu’il lui permettait de prendre les plus petites banques sous son aile. Des alternatives tel le logiciel de Finnova, fondé sur des solutions décentralisées, auraient laissé aux petites banques plus de liberté. Ce qui n’était pas dans l’intention de Kurt Streit.

Au début, le projet de Kurt Streit sembla se réaliser. Sous son égide, Ibis s’est imposé au sein de la RBA. En fondant Valiant en 2002, rassemblement de la Caisse d’épargne et de crédit bernoise, de la Gewerbekasse de Berne, de la BB Bank de Belp et, plus tard, de l’Interregio Bank (IRB) bâloise et de la Regiobank de Lucerne, l’ancien diplômé en gestion prenait le fauteuil de président. Pour l’ambitieux Roi-Soleil, la voie semblait désormais libre. Son projet était d’aspirer une banque après l’autre pour être prêt, le moment venu, à réaliser le super coup: la fusion avec la Banque Cantonale Bernoise. Tout comme Ibis fut l’instrument de son ascension, il fut également l’instrument de son échec. Le logiciel tournait au RTC, l’imposant Real-Time Center de Köniz, dans la banlieue de Berne. Outre Valiant, les membres de la RBA et la BCBE, d’autres établissements bancaires confiaient leurs données au centre. Parmi eux, un concurrent particulièrement important: Banque Migros. Avec quelques banques régionales, la Banque Migros tira le signal d’alarme à l’été 2007 et annonça son départ du RTC pour passer sur le système Finnova. Pour les partenaires d’Ibis subsistants, cet exode fut un désastre: quand le plus grand partenaire eut quitté l’association, leurs coûts unitaires explosèrent.

La plus grande défaite

Au bout du compte, à fin 2008, la RBA et Valiant décidaient également de passer chez Finnova. De ce fait, le projet d’une fusion avec la BCBE, simplifiée par l’informatique, échouait.

Valiant raconte une autre version de l’histoire: „Après une réévaluation exhaustive, les représentants du groupe RBA ont choisi Finnova pour leur plateforme bancaire en 2008, souligne le porte-parole Johannes Möri. Valiant a soutenu sans restriction cette décision et franchi le pas à son tour.“

Pour Kurt Streit, le moment était venu de quitter le fauteuil de CEO pour se contenter de la présidence. Au printemps 2010, il remettait la direction opérationnelle à Michael Hobmeier, un loyal allié de longue date.

Tandis que ce dernier freinait et restructurait, le président Streit cherchait de nouveaux candidats à la reprise. Il n’avait toujours pas abandonné son rêve de cimenter une grande alliance avec la Banque Cantonale Bernoise. Là encore, la série de reprises s’est terminée en catastrophe. De l’été à l’automne 2010, Valiant a soutenu le cours de ses propres actions par des achats massifs. Elle était alors sur le point de racheter deux banques régionales et d’entamer une coopération avec une troisième. Pour conclure, Valiant avait besoin de ses propres actions: plus leur cours était élevé, plus l’affaire serait avantageuse.

Seulement, inopinément Valiant s’est vue exposée à des ventes de titres importants. Du coup, elle aurait dû continuer à racheter, ce qui dépassait ses possibilités. C’est alors que le cours a brutalement chuté de plus de 200 à quelque 150 francs. La Finma a déclenché une enquête et abouti, le printemps dernier, à la conclusion que Valiant, „avec ses achats d’actions“, avait longtemps pu maintenir artificiellement un cours élevé „à l’encontre de la tendance du marché“. Ce faisant, la banque avait contrevenu „gravement à ses obligations de garante“.

Ce fut la plus grande défaite de Kurt Streit. Le règne du Roi-Soleil bernois a touché à son terme fin 2012. C’est de façon anticipée que l’ancien directeur général de La Poste, Jürg Bucher, a pris la présidence du conseil d’administration de Valiant le 1er janvier 2013.

Kommentar

  1. Bonjour M. Hässig,
    J’ai lu votre article sur la chute du Roi soleil et je suis d’accord avec sur tous les points mais malheureusement vous avez oubliez de parler des petits actionnaires victimes de la stratégie de cet Kurt et qui ont laissés une grande partie de leurs économies.
    Mes cordiales salutations


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