À haut risque

La banque Julius Bär aura besoin de tout son savoir-faire pour réussir l’intégration de la gestion de fortune de Merrill Lynch. La Banque Suisse, 26. Septembre 2012

Boris Collardi voyait les choses différemment. A peine la reprise de la gestion de fortune de Merrill Lynch était-elle finalisée que les critiques pleuvaient: „Trop cher“, „trop diluant“, „trop incertain“. L’analyste de la banque MainFirst suscitait un vrai malaise: près de 1,5 milliard de francs, c’est une belle somme pour „une perte momentanée“. Surtout quand on a besoin de 1 milliard de francs de capitaux nouveaux. Ces deux éléments, selon lui, expliquaient que les investisseurs n’aient pas été chauds pour se laisser embarquer dans le deal de Boris Collardi. La planification de ce dernier prévoit que l’investissement se remboursera en 2015. Son message: investissez aujourd’hui, gagnez demain.

Depuis que ce banquier de 38 ans est patron de Julius Bär, l’établissement ne retrouve plus la paix. D’abord, trois petites banques privées d’UBS ont été intégrées, puis le gestionnaire de fortune GAM a été détaché et placé en Bourse. Enfin, Julius Bär a incorporé la petite banque ING (Suisse) et la succursale genevoise de la Bank of China. L’investisseur, lui, doute. L’action Baer a perdu un total de 17% depuis 2009.

„C’est beaucoup mieux qu’UBS et Credit Suisse“, pourrait rétorquer Boris Collardi. Seulement, c’est un peu léger. Le banquier aime parler de son „pure play“, du fait qu’il a positionné sa banque comme gestionnaire de fortune pur sucre. Mais c’est le contraire qui s’est produit. Le rapport coûts/bénéfice a grimpé et encore grimpé pour dépasser les 74% au premier semestre 2012. Pour un pur gestionnaire de fortune suisse, c’est insatisfaisant.

Avec l’acquisition de la gestion de fortune de Merrill Lynch, on poursuit apparemment dans la même direction. Il y aura à nouveau des coûts extraordinaires pour l’intégration, exactement comme en 2006 lors de la reprise des banques d’UBS et d’ING. Cette fois, Boris Collardi provisionne à cet effet la somme énorme de 400 millions de francs, ce qui a pour désagréable conséquence que le bénéfice de Julius Bär devrait s’effondrer cette année.

Les investissements à venir ne devraient pas baisser. Comme Julius Bär et Merrill Lynch doublonnent en 12 lieux de la planète, il va falloir réunir les compétences d’ici à deux ans et demie.

Dans huit autres grandes villes, l’ancienne filiale de Bank of America figure seule et sera intégrée à Julius Bär. Seuls les Etats-Unis deviendront une grande tache blanche. Concrètement, il faudra garder les conseillers à la clientèle de Merrill Lynch, adapter les systèmes informatiques pour la reprise des avoirs des clients, agrandir certaines filiales, en fermer d’autres, licencier des employés du backoffice devenus inutiles. Un sacré travail et pour longtemps. „Les investisseurs craignent que nous ne réussissions pas à maîtriser complètement Merrill Lynch. C’est à nous de prouver que cela va marcher“, affirme le porte-parole de la banque, Jan Vonder Mühll,pour expliquer la réticence du marché.

La reprise sera particulièrement coûteuse là où Julius Bär et Merrill Lynch forment ensemble une grande entité. En Europe, c’est Londres, Paris, Monaco, Milan et Genève; au Moyen-Orient, Tel-Aviv et Dubaï; en Asie, Hongkong et Singapour; en Amérique latine, Santiago du Chili et Montevideo; aux Caraïbes, les îles Cayman. En même temps, pour Boris Collardi, c’est dans ces lieux qu’existe le plus gros potentiel de synergies. Il doit réduire les coûts au minimum sans faire fuir les clients de Merrill Lynch. „Si trop de clients s’en vont, les prévisions ne s’avéreront pas“, commente Christopher Wheeler, au siège londonien de l’italienne Mediobanca. Parmi les analystes de la place financière londonienne, Christopher Wheeler fait autorité.

Il accorde le bénéfice du doute à Boris Collardi: „Tout dépend des modalités de mise en œuvre, c’est le grand défi dans cette affaire.“ Julius Bär ne devra pas perdre plus de 10% des quelque 80 milliards d’avoirs de clients de Merrill Lynch, sans quoi les comptes ne tourneront plus. Pour l’expert Wheeler, cette acquisition est „un des exercices d’intégration les plus exigeants de ces dernières décennies“.

Boris Collardi, qui est manifestement le banquier à la carrière la plus rapide de Suisse, peut encore se permettre de se taire ou d’esquiver. Les comptes se feront dans deux ans. Avantage pour le jeune patron de banque: d’ici là, il aura carte blanche.


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